Ti-Jean et le nénuphar de la destinée: théâtre et patrimoine oral franco-ontarien
par Gervais, Roger
À compter de 1948, le père jésuite Germain Lemieux recueille des milliers de chansons et des centaines de contes auprès d’informateurs francophones du nord de l’Ontario. L’exceptionnelle collection qu’il constitue alors, en une trentaine d’années d’enquête, est conservée au Centre franco-ontarien de folklore qui a comme mission de préserver et de mettre en valeur ce patrimoine oral. C’est dans ce but que le Centre s’est associé à l’auteure Rachel Desaulniers et aux Productions Roches Brûlées pour créer et présenter dans plusieurs régions de l’Ontario français la pièce de théâtre Ti-Jean et le nénuphar de la destinée, basée sur les contes traditionnels recueillis par le père Lemieux.
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Le contexte de création
Le Centre franco-ontarien de folklore (CFOF) est un chef de file dans le domaine de la conservation et du développement du patrimoine. Les travaux de son fondateur, le père jésuite Germain Lemieux, et la réalisation de l’Inventaire du patrimoine franco-ontarien réalisé par le CFOF, lui ont acquis une renommée enviable. Reconnu comme organisme provincial de patrimoine en 1991, le Centre a reçu le prix de Parcs Canada pour sa contribution à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine en 1996, et le prix Roger-Bernard en reconnaissance de 30 ans comme chef de file dans le domaine du folklore et du patrimoine en 2002.
Le CFOF a pour mission de recueillir, de préserver et de mettre en valeur le patrimoine oral franco-ontarien, incluant bien sûr la collection du père Lemieux. C’est principalement l’aspect mise en valeur de ce patrimoine qui est à l’origine du projet d’envergure visant à créer et à monter la pièce de théâtre Ti-Jean et le nénuphar de la destinée qui a été présentée à dix reprises au cours du printemps et de l’été 2012, dans neuf localités différentes de l’Ontario. On retrouve la première mention de ce projet dans le plan stratégique du Centre rédigé en 2008. Toutefois, il faudra compter sur l’intervention d’un meneur dynamique pour catalyser le projet, en la personne de l’auteure Rachel Desaulniers.
En 2008, cette chroniqueuse culturelle à Radio-Canada/CBON revient d’un voyage en Grèce où elle a assisté à une prestation de théâtre Karaghiozis. Inspirée par cette découverte, Rachel Desaulniers souhaite alors créer une pièce de théâtre à Sudbury et soumet l’idée à la présidente du CFOF, Diane Charette-Lavoie. Ce projet rejoint divers besoins exprimés par le Centre, soit la mise en œuvre d’un projet d’envergure provinciale et la diffusion du patrimoine oral auprès d’un large public. Un an plus tard, l’habile conteuse qu’est Rachel Desaulniers remet au CFOF un texte inspiré des contes collectionnés par le père Germain Lemieux. À partir de ce moment, l’auteure pourra compter sur l’appui du Centre et d’une équipe de production qui travailleront à la réalisation du projet.
La contribution de Rachel Desaulniers ne s’arrête pas à la rédaction du texte. Elle propose aussi un plan de diffusion qui recueille l’appui du CFOF. Dans les années 1980, Louis Tanguay, enseignant et animateur culturel de la section de langue française du Conseil de l’éducation de Sudbury, avait mis en place une équipe de jeunes artistes, comédiens, chanteurs et musiciens dans le but de monter une pièce de théâtre pour enfants. Cette pièce avait été présentée dans les parcs et les centres communautaires de la région du Grand Sudbury et Rachel avait participé à ce projet, lorsqu’elle était élève au secondaire. De la même façon, elle proposa au CFOF que sa pièce de théâtre serve à la création d’emploi pour étudiant-e-s.
Après quelques recherches, le CFOF découvre qu’il existe ailleurs au pays des projets semblables dans le domaine des arts et du théâtre. Au Manitoba, par exemple, la troupe des Chiens de soleil raconte chaque été des légendes folkloriques à même le cimetière de la cathédrale de Saint-Boniface. Des étudiants travaillent aussi pendant la période estivale au lieu historique national de la Maison-Riel et au musée consacré à l’auteure franco-manitobaine Gabrielle Roy. Au Nouveau-Brunswick, on embauche une cinquantaine d’étudiants tous les étés à Bouctouche, au Pays de la Sagouine, ainsi qu’au Village historique acadien de Caraquet. La formule proposée est donc bien rodée et garante de succès.
Une fois le concept en place, le CFOF développe aussi un partenariat avec l’Université Laurentienne de Sudbury et son programme Art d’expression. La direction artistique prend son envol sous la supervision de Rachel Desaulniers (auteure) et de Madeleine Azzola (directrice artistique). Yvan Castonguay, artiste pour le Cirque du Soleil, prépare une première conception des costumes et Brian Côté, professeur en Technique théâtrale à l’Université Laurentienne, fait de même pour le décor. Lise Loiselle, enseignante à la retraite, coordonne le tout. Nous sommes en 2010 et le projet est alors bien engagé.
Malheureusement, des obstacles imprévus provoquent certaines modifications au projet et causent des retards. Par exemple, le CFOF ne réussit pas à décrocher les subventions demandées pour produire la pièce selon son concept original. Il faudra deux autres années pour corriger le tir. Pendant ce temps, le programme Arts d’expression subit des changements importants qui mènent à sa restructuration et à une réduction significative des effectifs disponibles. C’est ainsi qu’en 2012, deux ans après la date de lancement initiale du projet, la pièce de théâtre verra enfin le jour avec une nouvelle direction artistique et une nouvelle structure de production.
Le Centre franco-ontarien de folklore embauche les services des Productions Roches Brûlées, une compagnie qui se spécialise en gestion de projet ainsi qu’en création et direction artistique. L’équipe de production comprend Marie-Josée Dionne, co-metteur en scène, et Francis Tousignant, directeur de tournée et régisseur, appuyé par Mélissa Michaud. Sept autres professionnels (NOTE 1) travaillent avec l’équipe, en plus des étudiants du programme de Technique et gestion de scène du Collège Boréal. Le rôle de Ti-Jean est interprété par Alain Lauzon et ses complices de scène, France Huot et Jenn Blanchet, interprètent plusieurs rôles. De plus, huit jeunes comédiens âgés de huit à douze ans, de chaque région où est présentée la pièce de théâtre, occupent les rôles secondaires du spectacle. Au terme des dix représentations de la tournée 2012, deux nouveaux diplômés du programme de théâtre de l’Université Laurentienne, plusieurs élèves du Collège Boréal et du Collège Cambrian, et plus de 88 jeunes artistes du primaire ont eu la chance de pratiquer l’art de la scène dans ce cadre professionnel.
Résumé de la pièce
Le légendaire Ti-Jean, héros des contes folkloriques recueillis par le père Germain Lemieux, doit relever un nouveau défi.
Afin d’obtenir la main de la princesse Caribou, la fille du bon roi Camille du royaume du Nipissing, Ti-Jean accepte de participer à un concours qui consiste à offrir au souverain un cadeau pour le plus grand bien de la collectivité.
Ti-Jean entend parler d’une fleur magique, un nénuphar en cristal qui possède des pouvoirs divinatoires permettant de voir l’avenir et de valider à l’avance les décisions prises par son propriétaire. C’est pourquoi on l’appelle le nénuphar de la destinée.
Ti-Jean part donc à l’aventure pour trouver la fleur qui, dit-on, se trouve dans l’île Manitouline, tout près de la baie de la Providence. Pour ce faire, il devra parcourir la région du Nipissing, de la Rivière-des-Français et de la baie Georgienne, pour enfin aboutir au lac Huron.
En route, il devra relever plusieurs défis. Il fera la rencontre de personnages cocasses qui enseigneront à Ti-Jean des leçons de vie importantes. Il aura aussi à affronter des adversaires crapuleux qui viendront compliquer sa mission.
Ti-Jean parviendra-t-il à trouver la fleur magique? Pourra-t-il épouser la princesse Caribou? Saura-t-il départager ses alliés et ses opposants?
L’accueil de la pièce et les retombées
La première de la pièce a eu lieu au Salon du livre du Grand Sudbury au mois de mai 2012. Elle a ensuite été présentée dans huit autres communautés nord-ontariennes : Hearst, Smooth-Rocks-Falls, Cochrane, Timmins, Markstay, Lively, Wawa et Manitouwadge. La dernière représentation de cette tournée a eu lieu lors de la journée familiale de la Saint-Jean-Baptiste à Sudbury. En faisant la « grande route » à travers tout le nord-est et le nord-ouest de l’Ontario, la troupe a parcouru plus de 2 000 kilomètres. Plus de 1 000 personnes ont assisté à cette production et la rétroaction a été positive. De plus, le Centre franco-ontarien de folklore a pu améliorer ses connaissances en matière de diffusion par l’entremise de ce projet. Les commentaires suivants témoignent de l’expérience enrichissante vécue par les jeunes qui ont participé à la pièce :
« J'aimerais te remercier toi et ton équipe d'avoir permis aux élèves de l'école publique Passeport Jeunesses de participer à la pièce de Ti-Jean. Cette expérience fut très appréciée par les élèves ainsi que par le personnel de l'école ! Merci. C’est un beau souvenir pour nos petits ».
Isabelle Boucher
« Mon évaluation de cette production se fait en tant qu’enseignante et en tant que mère ; en plus de voir la pièce avec mes élèves, j’ai vu mes deux enfants s’amuser à apprendre leurs lignes à la maison, et à les présenter ensuite sur scène. J’ai ressenti une grande fierté de voir les enfants sur scène, accompagnés de comédiens professionnels. Merci d’avoir donné la chance aux élèves de l’école Camille-Perron de vivre une telle expérience ! C’est toute une aventure pour des élèves d’une petite école rurale ».
Darquise Lapalme Cardinal
Il faut bien sûr rappeler qu’un projet de cette envergure, qui se déplace sur un aussi grand territoire, ne serait pas réalisable sans la participation de bailleurs de fonds comme la Fondation Trillium de l’Ontario et la Fondation franco-ontarienne, ainsi que de commanditaires importants comme l’Université Laurentienne, le Collège Boréal et l’Université de Sudbury. Il faut aussi mentionner l’appui indispensable des communautés. Certaines d’entre elles, comme Smooth-Rock-Falls et Manitouwadge, comptent moins de 2 500 habitants. Pour bon nombre de jeunes qui habitent ces villages, le fait de jouer sur scène avec des professionnels, de manipuler des marionnettes de différents types (marionnettes à la tige, marottes à tringle, main fantôme et marionnette habitée), ou de voir leurs confrères et leurs consœurs en performance avec des professionnels, est un fait rare, voire impensable pour plusieurs. La tournée de la pièce de théâtre Ti-Jean et le nénuphar de la destinée a donc tissé des liens entre diverses communautés où vivent de nombreux francophones, ainsi qu’entre les divers groupes qui animent ces communautés.
Selon le Conseil d’administration du Centre franco-ontarien de folklore, la retombée la plus importante du projet demeure le rapprochement qu’il a permis de faire entre le passé et l’avenir, entre les contes conservés dans la série du père Lemieux Les Vieux m’ont conté et le nouveau texte écrit par Rachel Desaulniers, entre l’expérience des professionnels et des adultes responsables en milieu scolaire qui a été transmise aux enfants qui sont montés sur scène ou qui a été communiquée à ceux qui ont assisté à la pièce. Dans un monde qualifié d’hypermoderne, le fait de revenir au patrimoine de nos ancêtres et de transmettre l’imaginaire de nos grands-parents aux nouvelles générations, par l’entremise d’une plateforme qui peut concurrencer la télévision et l’ordinateur de façon efficace, est tout un défi. C’est dans sa capacité à surmonter ce défi et à montrer que l’imaginaire de nos ancêtres est intemporel que le Centre franco-ontarien de folklore croit avoir le plus touché la communauté nord-ontarienne.
Une expérience plus enrichissante grâce à la trousse pédagogique d’accompagnement
Une trousse pédagogique accompagnait la pièce Ti-Jean et le nénuphar de la destinée. L’objectif de celle-ci était d’encadrer les élèves de la quatrième à la sixième année du primaire, avant et après la pièce de théâtre, afin de maximiser les retombées pédagogiques de l’expérience vécue au cours de la représentation. Cette trousse a été conçue par Anne Brûlé et préparée avec l’appui d’une enseignante du conseil scolaire public, Jocelyne Gervais, d’une enseignante du conseil scolaire catholique, Julie Philippe-Shillington, et de deux animateurs culturels, Danielle Blais et Joël Lauzon. Grâce à leur travail, des plans de leçon et des activités étroitement liées à la pièce et au curriculum scolaire ont été proposés aux enseignants, pour chaque année visée. Par exemple, le plan de leçon Tite-Annonce lance aux élèves de la 4e année le défi de présenter la pièce de théâtre à leurs camarades sous forme d’annonce publicitaire, ou l’activité QuiQuoi invite les élèves à créer des masques à la manière de la commedia dell’arte dans le but de faire partie du cercle de célébrités du Bon Roi Camille, un personnage central de la pièce. Cette trousse contient également une leçon et des d’activités favorisant l’apprentissage de la lecture et le développement de l’imaginaire.
* * *
Bref, l’aventure proposée par la pièce de théâtre Ti-Jean et le nénuphar de la destinée au permis au Centre franco-ontarien de folklore de remplir sa mission de diffusion et de mise en valeur du patrimoine oral franco-ontarien.
Roger Gervais
Directeur général, Centre franco-ontarien de folklore, Sudbury
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Mise en lecture de Ti-Jean & et le nénuphar de la destinée Rachel Desaulniers, l'auteure de la pièce pour enfants «Ti-Jean et le nénuphar de la destinée», raconte son processus de création et les objectifs qu'elle poursuivait en écrivant cette pièce basée sur les contes recueillis par le père Lemieux dans le nord de l'Ontario. On voit aussi des extrait de la première mise en lecture de cette pièce, qui a eu lieu à Sudbury, en 2010. La metteure en scène, Marie-Josée Dionne, explique dans quel esprit elle a conçu cette mise en lecture et de quelle façon elle a travaillé avec les comédiens Alain Lauzon et Anie Cousineau. Les projets de tournée évoqués par l'auteure se sont réalisés au printemps 2012.
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Notes
1. Jordan McNeil à l’environnement sonore; Tim Stenabaugh à l’éclairage; Jenny Hazelton à la conception et réalisation des marionnettes; Gérald Beaulieu assisté de Luc Robert aux décors; Denys Tremblay et Jenn Blanchet aux accessoires.